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vendredi 30 décembre 2011

L'Appât




Un thriller shakespearien ...
 Voilà enfin je l’ai lu , L’Appât. Parlons d’abord de la couverture du livre car le titre déjà évoque bien des choses. Ici nous avons l’illustration signée Nathalie Shau, une jeune artiste basée à Vilnius en Lituanie. Ses œuvres, photographies, peintures digitales s’inspirent d’imagerie religieuses, contes de fée et d’auteurs comme Gogol… Ici l’illustration montre une jeune femme nous fixant du regard comme pour nous envoûter, ensorceler ou hypnotiser. Mais il n’y a pas que son regard qui est si fascinant. Son apparence, vêtements, accessoires mais aussi sa gestuelle et coiffure exercent sur nous un certain effet pour ne pas dire pouvoir. Chaque détail compte et provoque bien des interrogations sur ce choix par l’éditeur, Actes Sud. Quel est ce lien entre le titre et cette personne qui semble être en représentation ? Symbolise t’elle l’Appât ? La couverture est très sombre aussi et semble annoncer une ambiance bien obscure et étouffante.

Retournons le livre et découvrons la quatrième de couverture. Voilà tout est dit : c’est bien un thriller Shakespearien et les « appâts» qui servent à identifier et contrôler la nature du désir le plus profond du suspect pour ensuite le capturer. Le personnage principale, Diana Blanco travaille pour cette police ultramoderne de Madrid où un attentat a déjà bien défiguré la ville et tué des milliers de personnes. Le choix du nom n’est pas innocent car Blanco désigne la couleur blanche mais aussi le mot « cible » en espagnol. Ainsi elle va être sur la trace de celui qu’on nomme Le Spectateur car déjà un autre psychopathe à Madrid sévit et qu’on appelle L’ Empoisonneur.
Pourquoi parle t’on ici d’un thriller Shakespearien ? Il faut savoir que José Carlos Somoza considère Shakespeare comme son père littéraire. Ainsi suite à une relecture de ses œuvres il s’est penché sur les philias qui s’en dégagent. Mais ce n’est pas tout. Il y a le psynome que l’Appât doit savoir identifier sur ses « proies ».
Le psynome est « l’expression mathématique de notre plaisir. Chacun des psynomes est une sorte de code génétique du désir d’une personne. » Puis ce psynome peut se regrouper selon des caractéristiques communes et chaque groupe s’appelle « philia ». Ainsi vous pouvez avoir la philia de Chair, la philia de Demande, la philia de Chute et bien d'autres encore. Il y aurait 58 sortes de philias dans le monde. Ainsi, lorsque la philia est identifiée, l’Appât va prononcer des mots, effectuer des gestes, le tout dans un décor choisi pour posséder la « proie », l’empêcher de commettre un geste ou de le forcer à agir d’une certaine manière. Tout cela s’opère en interprétant un masque qui influera, contrôlera la philia.

Mais pourquoi Shakespeare ?
Les appâts sont entraînés et éduqués en apprenant les pièces de Shakespeare par cœur, en interprétant les personnages de ses pièces, en reproduisant leur psynome, philia et masque. Ainsi tout le long de ce thriller haletant Shakespeare est omniprésent à travers ses personnages et ses répliques.
Les pièces et personnages de Shakespeare semblent ainsi la clef de tout, non seulement de l’énigme policière mais aussi  du monde qui nous entoure qui n’apparaît plus que comme un théâtre où nous ne faisons qu’obéir à notre psynome et qui peut être manipulé par quelqu’un de "former". Ainsi les sentiments n’existeraient pas car nous obéirions à notre code psynomique et répondrions à des stimuli selon les philias que nous rencontrerions. Les appâts peuvent apparaître comme des esclaves d’un service de la police, mais en fait elles ou ils sont recrutés pour le plaisir que cela leur procure.
 Par exemple, p 62 :  «  Nous faisions ce que nous voulions faire, ce que nous avions toujours voulu. On nous choisissait parce que nous jouissions en détruisant ceux qui détruisaient, et nous nous y adonnions entièrement. »

Ainsi ces appâts travaillent sur toutes les philias en citant Shakespeare, en identifiant le personnage et sa philia, pour ensuite utiliser le masque approprié. Shakespeare, pour dégager ce pouvoir qu’exercent ces philias, n’avaient pas fait qu’imaginer ses personnages.
Ainsi dans ses cours de littérature, Jorge Luis Borges a écrit :

« Shakespeare s’est demandé ce qu’est un assassin, comment un homme peut en venir à assassiner et ainsi il avait imaginé Macbeth, il avait imaginé Lady Macbeth, Duncan, les trois sorcières, les trois Parques[ …] et tous les autres. Autrement dit, Shakespeare avait été chacun des personnages de son œuvre jusqu’aux plus éphémères. »
Ce thriller ponctué de répliques de Shakespeare, est aussi construit comme une piéce de théâtre avec ces actes citant une réplique d’une pièce. C’est un thriller exigeant par l'omniprésence de Shakespeare mais jouissif par son suspense, ses retournements de situation et les mises en scène très théâtrales. De plus, les appâts, quelque soit leur niveau, cherchent la clef d’un masque : le masque de Yorick qui pourrait être la clef de l’énigme et la destruction du psychopathe. Cependant il faut savoir l’interprêter surtout lorsqu’ aucun professeur ou appât ne sait de quelle manière le jouer..
L’ésotérisme est aussi présent et est suggéré par l’omniprésence de Shakespeare où avec John Fletcher, il aurait fait parti Du cercle des Gnostiques de Londres (évoqué dans la fiction) dirigé par le mathématicien et astrologue John Dee qui travaillait sur des rituels, qui produisaient des effets sur le psynome. Ainsi dans l’Appât, on dit que Shakespeare et autres contemporains de son époque s’en inspirèrent dans l’écriture de leur pièce.

Voilà ce thriller captivant, où dans ce future les appâts, profileurs et ordinateurs quantiques ont supplanté les policiers, détectives et médecins légistes, vous allez rechercher ce psychopathe au côté de l’Appât, Diana Blanco, vivre ses émotions, plaisirs, douleurs car ce roman est à la première personne et aller aussi replonger dans l’univers de Shakespeare.

  Céline B.

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