Un thriller shakespearien ...
Voilà enfin je l’ai lu ,
L’Appât. Parlons d’abord de la couverture du livre car le titre déjà évoque
bien des choses. Ici nous avons l’illustration signée Nathalie Shau, une jeune
artiste basée à Vilnius en Lituanie. Ses œuvres, photographies, peintures digitales
s’inspirent d’imagerie religieuses, contes de fée et d’auteurs comme Gogol… Ici
l’illustration montre une jeune femme nous fixant du regard comme pour nous
envoûter, ensorceler ou hypnotiser. Mais il n’y a pas que son regard qui est si
fascinant. Son apparence, vêtements, accessoires mais aussi sa gestuelle et
coiffure exercent sur nous un certain effet pour ne pas dire pouvoir. Chaque
détail compte et provoque bien des interrogations sur ce choix par l’éditeur,
Actes Sud. Quel est ce lien entre le titre et cette personne qui semble être
en représentation ? Symbolise t’elle l’Appât ? La couverture est très
sombre aussi et semble annoncer une ambiance bien obscure et étouffante.
Retournons le livre et découvrons
la quatrième de couverture. Voilà tout est dit : c’est bien un thriller
Shakespearien et les « appâts» qui servent à identifier et contrôler la
nature du désir le plus profond du suspect pour ensuite le capturer. Le
personnage principale, Diana Blanco travaille pour cette police ultramoderne de
Madrid où un attentat a déjà bien défiguré la ville et tué des milliers de
personnes. Le choix du nom n’est pas innocent car Blanco désigne la couleur
blanche mais aussi le mot « cible » en espagnol. Ainsi elle va être
sur la trace de celui qu’on nomme Le Spectateur car déjà un autre psychopathe à
Madrid sévit et qu’on appelle L’ Empoisonneur.
Pourquoi parle t’on ici d’un
thriller Shakespearien ? Il faut savoir que José Carlos Somoza considère
Shakespeare comme son père littéraire. Ainsi suite à une relecture de ses
œuvres il s’est penché sur les philias qui s’en dégagent. Mais ce n’est pas
tout. Il y a le psynome que l’Appât doit savoir identifier sur ses
« proies ».
Le psynome est
« l’expression mathématique de notre plaisir. Chacun des psynomes est une
sorte de code génétique du désir d’une personne. » Puis ce psynome peut se
regrouper selon des caractéristiques communes et chaque groupe s’appelle
« philia ». Ainsi vous pouvez avoir la philia de Chair, la philia de
Demande, la philia de Chute et bien d'autres encore. Il y aurait 58 sortes de philias dans le monde.
Ainsi, lorsque la philia est identifiée, l’Appât va prononcer des mots,
effectuer des gestes, le tout dans un décor choisi pour posséder la
« proie », l’empêcher de commettre un geste ou de le forcer à agir
d’une certaine manière. Tout cela s’opère en interprétant un masque qui
influera, contrôlera la philia.
Mais pourquoi Shakespeare ?
Les appâts sont entraînés et
éduqués en apprenant les pièces de Shakespeare par cœur, en interprétant les
personnages de ses pièces, en reproduisant leur psynome, philia et masque. Ainsi
tout le long de ce thriller haletant Shakespeare est omniprésent à travers ses
personnages et ses répliques.
Les pièces et personnages de
Shakespeare semblent ainsi la clef de tout, non seulement de l’énigme policière
mais aussi du monde qui nous entoure
qui n’apparaît plus que comme un théâtre où nous ne faisons qu’obéir à notre
psynome et qui peut être manipulé par quelqu’un de "former". Ainsi les
sentiments n’existeraient pas car nous obéirions à notre code psynomique et
répondrions à des stimuli selon les philias que nous rencontrerions. Les appâts
peuvent apparaître comme des esclaves d’un service de la police, mais en fait
elles ou ils sont recrutés pour le plaisir que cela leur procure.
Par exemple, p 62 : « Nous faisions ce que nous
voulions faire, ce que nous avions toujours voulu. On nous choisissait parce
que nous jouissions en détruisant ceux qui détruisaient, et nous nous y
adonnions entièrement. »
Ainsi ces appâts travaillent sur
toutes les philias en citant Shakespeare, en identifiant le personnage et sa
philia, pour ensuite utiliser le masque approprié. Shakespeare, pour dégager ce pouvoir
qu’exercent ces philias, n’avaient pas fait qu’imaginer ses personnages.
Ainsi
dans ses cours de littérature, Jorge Luis Borges a écrit :
« Shakespeare s’est demandé
ce qu’est un assassin, comment un homme peut en venir à assassiner et ainsi il
avait imaginé Macbeth, il avait imaginé Lady Macbeth, Duncan, les trois
sorcières, les trois Parques[ …] et tous les autres. Autrement dit,
Shakespeare avait été chacun des personnages de son œuvre jusqu’aux plus
éphémères. »
Ce thriller ponctué de répliques
de Shakespeare, est aussi construit comme une piéce de théâtre avec ces actes
citant une réplique d’une pièce. C’est un thriller exigeant par l'omniprésence de
Shakespeare mais jouissif par son suspense, ses retournements de situation et
les mises en scène très théâtrales. De plus, les appâts, quelque soit leur niveau,
cherchent la clef d’un masque : le masque de Yorick qui pourrait être la clef
de l’énigme et la destruction du psychopathe. Cependant il faut savoir
l’interprêter surtout lorsqu’ aucun professeur ou appât ne sait de quelle manière le jouer..
L’ésotérisme est aussi présent et est suggéré par
l’omniprésence de Shakespeare où avec John Fletcher, il aurait fait parti Du cercle
des Gnostiques de Londres (évoqué dans la fiction) dirigé par le mathématicien et astrologue
John Dee qui travaillait sur des rituels, qui produisaient des effets sur le
psynome. Ainsi dans l’Appât, on dit que Shakespeare et autres contemporains de
son époque s’en inspirèrent dans l’écriture de leur pièce.
Voilà ce thriller captivant, où
dans ce future les appâts, profileurs et ordinateurs quantiques ont supplanté
les policiers, détectives et médecins légistes, vous allez rechercher ce
psychopathe au côté de l’Appât, Diana Blanco, vivre ses émotions, plaisirs,
douleurs car ce roman est à la première personne et aller aussi replonger dans l’univers
de Shakespeare.
Céline B.
Céline B.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire